petit bonheur
Il éteint la lumière. La nuit envahit la pièce. Au bout d’un moment, ses yeux habitués, il voit tout ce qui se passe dehors. La lune éclaire le jardin où le vent pousse et tasse les feuilles, aux pieds des troènes, le long de la clôture.
Il change de pièce et se met à la fenêtre de la salle à manger.
De là, il peut voir la rue, déserte en ce moment.
Il sait que, dans pas longtemps, il va voir passer un jeune couple. Ils vont s’arrêter devant sa fenêtre, s’embrasser une dernière fois avant de se séparer.
L’homme va rester un moment à la regarder, tourner au coin de la rue, avant de s’en aller à son tour du côté opposé.
Ils ne savent pas qu’il les surveille.
Il ne les surveille pas dans une mauvaise intention, non, c’est juste que leur amour lui plaît. Il est vieux et il n’y a plus grand-chose qui l’émeut. Quand il voit deux êtres qui s’aiment, son vieux cœur frémit encore un peu. Alors, chaque jeudi, à son poste, dans le noir, il guette leur passage.
Aujourd’hui n’est pas comme les autres jours. Au lieu de s’embrasser et de se séparer comme d’habitude, ils restent là à discuter. Les mots arrivent jusqu’à lui. Ils parlent de plus en plus fort. L’homme bouscule la femme qui laisse tomber son sac. Il a peur pour elle. Alors il sort de la maison et se montre. L’homme se calme et s’en va.
Il ramasse le sac qu’il tend à la jeune femme. Elle s’en va à son tour le dos courbé.
Il fait quelques pas dans le jardin aspirant à pleins poumons l’air frais de la nuit puis rentre, songeur, il referme la porte lentement. Il n’a pas sommeil, cette soirée pas comme les autres l’a un peu perturbé. Il allume la télé qui corne à ses oreilles. Il avait oublié de remettre le son au minimum. Ce n’est plus l’heure de regarder la télé, pour une fois il décide de faire une exception.
Il éprouve de la colère pour ce jeune couple. Ils n’ont pas su s’aimer et de ce fait lui a volé son petit bonheur. Il se doute bien que jeudi prochain ils ne viendront plus s’embrasser sous sa fenêtre.